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Amitiés littéraires

Victoria THEODOROU

Biographie Bibliographie

Victoria Theodorou, poète, écrivaine, traductrice, licenciée ès lettres de l’Université d’Athènes, est née à La Canée (Crète), en 1926. Sa mère était originaire de Topolia (Kissamos) ; son père, lui, venait de Veles, près de Skopje (Yougoslavie).

En 1942,  elle collabore dans une organisation de jeunes et intègre la résistance nationale des forces progressives de la gauche du pays. Etudiante de première année lors de la guerre civile, elle est déportée dans les îles en 1948 : Chio, Trikeri, Makronisos. Elle est libérée au bout de quatre ans, en 1952, suite à une intervention de son compatriote Charidimos Spanoudakis, qu’elle épousera en 1956. Cette même année, elle aura deux filles jumelles, Irene et Maria. Plus tard, elle achèvera ses études, interrompues en 1948.

Entre en littérature en 1957, avec des poèmes parus dans la revue « Epitheorissi tehnis ». Depuis lors, elle a publié douze recueils de poésie et quatre récits.

Melina Mercouri étant ministre de la Culture, Victoria Theodorou a travaillé dans ce ministère, au Service de la promotion et de la valorisation de la littérature grecque, tant en Grèce qu’à l’étranger.

 
 

Deux poèmes de Victoria Theodorou,
extraits de « Chant nocturne des frontières »

 

  DESTIN

  Mes parents, mandés par le destin,
  sont descendus de leurs montagnes
  pour que je naisse au bord de la mer. Là,
  croyaient-ils, leur germe s’épanouirait,
  frotté de sel et de rythmes.

 

  Oiseaux marins, innocents poissons :
  mes précepteurs. Mais je tardais à parler :
  je ne voulais pas dire mon nom. Ma mère
  avait tant supplié les dryades
  pour qu’elles m’accordent de parler !
  Pourtant, malgré les rêves qui me hantaient,
  j’ai su désobéir et rejoindre les gens.
  Mais je suis condamnée à entendre la flûte,
  à raconter la fuite de tous les pourchassés.
  Pour préserver leur mémoire.

 


  CHANT NOCTURNE DES FRONTIERES (fragment)
    
  Poisson doré, la jeunesse a glissé
  au plus profond de la mer. Regard infatigable,
  à la proue, pendant la tempête. Fronton
  ensoleillé, la nuit s’est abattue sur toi.
  Mais tu as préservé la poésie. Et le topaze
  du mot.

 

  Nature, où me conduis-tu? Je ne veux pas
  le savoir : mes yeux se détournent
  de l’horreur. Consommation des siècles,
  apocalypse, tu ne me remplaceras pas
  J’ai emprunté d’autres chemins : devenue
  incorporelle, tu ne sauras me détruire.

 

  J’ai bien cultivé la terre. Mes pieds
  ont tant enduré ! Mais ne restons pas
  immobiles sur ce lit de malade ! Bougez-vou
s,
  ô mes genoux, avant de vous ankyloser !
  Et cherchez le dictame dans les ravins
  de Crète.


  (Version française de Maria Spanoudaki,
en collaboration avec Luiz-Manuel)

 
   
 

Un poème de Victoria Theodorou, extrait de Complainte du Grand Artisan

Tes bras robustes, dignes et affables,
don plus grand que des ailes…

Kostis Palamas

Ici, sur ces dalles, il est tombé – et les fondements
de la maison ont frissonné. Le pin s’est penché
pour regarder – avec les oiseaux –, pour proclamer
à la face du monde : Levez-le doucement !
Les vents lui ont arraché son bras droit,
parce qu’un pont s’écroulait et que la plaine
de Kissamos s’est effondrée…

Comment soulever celui qui tant aimait
la pierre et le marbre ? De ses mains,
il avait disposé ces choses – pierres, bois–      
condamnées à être muettes, qui avaient vu
le soleil et la mer, qui avaient consolidé
la treille avec ses raisins.

Le souffle coupé, il ne répond pas. Il ne fait
qu’une seule réponse : Ne t’attriste pas
pas à cause de moi. Mais je ne puis rester à l’écart
quand la pierre elle-même souffre pour toi !

Regarde les choses auxquelles tes mains ont
insufflé la vie, écoute les enfants qui récitent
leurs leçons, et les oiseaux, sur l’amandier
négligé : ils n’entendront plus tes sages paroles.

Qui apaisera désormais les taciturnes ? Qui
s’occupera des livres ? Ils ne connaissaient
que toi et comment tu les guérissais et comment
tu les reliais et les secrets des machines
et les vrillettes et les routines de l’eau – tu
savais tout cela : choses et êtres s’attendaient
à ce que tu les soignes, à ce que tu les sauvegardes.

Lecteur assidu – ô longues nuits d’hiver ! –, sauveur
des livres, il se procurait du vélin, du lin polonais,
pour relier et envelopper de soie, et la feuille d’or
que les vers fuient. Aussi les livres brillent-ils
encore sur les étagères, les grands et les petits,
parés de dorures, d’ornements, de fleurons,  
de coquillages, d’ailes…

Et lui ? Où repose-t-il ?
Ô toi qui le protèges, ô mont Hymette, garde-moi
aussi là-haut une place dans le berceau.

……………………..

Marches et jointures lui ont été un piège. Et le pin
n’a pas ébauché un geste pour le soutenir.
Les outils – ses armes – gisent abandonnés
indifférents, sous l’escalier: masse, assette,
pioche et marteau, le seau de badigeon,
le sac de ciment qui lentement se pétrifie.

……………………….

Si j’étais partie avant toi, nos filles
jumelles t’auraient adoré.

…………………………

« C’est l’automne et les oiseaux s’en vont. »
Qu’ils emportent tes lourds souvenirs.
Assez de larmes ! Le lacrymatoire est plein.
Cache les habits noirs dans le coffre à linge,
sors dans le monde, paraît à la lumière.
Le vent du Nord te déliera de ta peine.
Les bruyères ont fleuri : apporte-moi
une couronne. Je suis l’oiseau-lumière
qui t’invite. Je suis le nuage qui t’arrose.
Ne tiens pas compagnie à la tristesse :
chasse-la ! Le monde est éphémère,
tu le perdras. Cependant que les racines
me soignent.

Cependant que les branches me chantent
tes vers.

 

 (Version française de Maria Spanoudaki, en collaboration avec Luiz-Manuel)

   
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